Axe 3 : Patrimoine et sociétés


L'équipe a continué les recherches développées sur cet axe au cours du précédent quinquennal et a approfondi certains aspects, dans le cadre des problématiques élaborées au sein de PLH.
 

a) Traces antiques

Le projet sur la ville de Delphes (EFA et CRATA)  et son lien avec le sanctuaire (fouilles de l'École Française d'Athènes hors du sanctuaire), sous la direction de J.-M. Luce, s'est poursuivi au cours de ce contrat.
Des missions ont eu lieu en 2021, 2022 et 2023. Elles ont consisté en un repérage systématique de tous les vestiges appartenant à la ville, autour ou dans le sanctuaire d’Apollon. Des centaines de murs ont ainsi été mis en fiche, avec photographies, description et relevés. Les fiches sont déposées dans une base de données. Cette base de données est également reliée à un Système d’Information Géographique (SIG, sur le logiciel QGIS). Pour compléter ce travail, une autre base de données rassemblant les 2500 pages des archives Lerat a également été constituée. Les deux bases peuvent être interrogées directement depuis QGIS.
Ces explorations ont permis de réinterpréter, et parfois de découvrir des vestiges qui n’avaient jamais été suffisamment examinés jusque-là. Parmi nos découvertes, on mentionnera une voie remontant à l’époque mycénienne, un tunnel d’adduction d’eau, probablement archaïque, deux fontaines, des zones d’extraction de blocs, un four (probablement à chaux), classique ou préclassique. Les rapports sont désormais publiés en ligne dans le Bulletin d’archéologie des École français à l’Étranger (BAEFE). Une première monographie sur la ville de Delphes à l’époque mycénienne est en cours de rédaction (remise du manuscrit définitif en septembre 2025).

b) La fabrique de l'image : mécanismes, grammaire, réception

Cette thématique conjugue les différentes approches que la recherche a développé dans l’étude de l’imagerie antique. Les activités du CRATA dans ce domaine ont été particulièrement riches. Elles ont mobilisé trois chercheurs permanents (Estelle Galbois,  Pascale Jacquet-Rimassa et Jean-Marc Luce) et deux doctorants Laura Sageaux (thèse soutenue) et Fanny Langlade (thèse en cours). Eléna Oulié, autrice d’une thèse soutenue en 2018 sur l’aspective, a également participé à certaines manifestations. Le sous-axe sur l’aspective bénéficie de l’expertise de deux égyptologues, Christophe Barbotin, conservateur en chef au Louvre,  et Dominique Farout, ce dernier étant membre associé du CRATA. Il faut aussi ajouter les masters dirigés par les différents membres de l’équipe, qui, souvent, ont apporté des contributions importantes. Si la plus grande partie de ces travaux porte sur l’imagerie vasculaire, Laura Sageaux a consacré ses recherches à la glyptique, couplée à la numismatique, et Estelle Galbois a également toute une partie de ses recherches consacrées aux figurines en terre cuite de Tebtynis dans les Fayoum (Égypte) et étudie les portraits des rois hellénistiques sur divers supports. Son travail sur les terres cuites a constitué le mémoire inédit de son Habilitation à diriger des recherches, soutenue en juin 2024.
Les recherches du CRATA croisent des approches parfois anciennes, mais qui nécessitent toujours des travaux nouveaux, à d’autres complètement neuves. On peut en distinguer cinq : l’approche attributionniste, l’anthropologie de l’image, la construction de l’image autour des notions d’aspective et de perspective enfin ce qu’on pourrait appeler la rhétorique de l’image et sa dimension politique/idéologique. La diversité des approches permet de les croiser, ce qui se fait lors de notre séminaire du CRATA archéologie et lors des rencontres (JE, table ronde, colloque), mais aussi lors des cours en master.

- La tradition attributionniste. On sait que Beazley et Boardman ont porté très haut ce qu’on a coutume d’appeler l’école attributionniste. Elle consiste à identifier les mains, les artistes, du moins les groupes d’artistes qui ont été actifs, particulièrement dans la peinture sur vase. Cette direction, que les travaux de Mathieu Scapin avaient explorée dans sa thèse soutenue en 2016, n'a pas été suivie durant ce quinquennal. Un autre volet de cette approche est l’identification des scènes représentées. Ce point a été très largement exploré dans la thèse de Laura Sageaux en glyptique : L'image dans l'image dans la glyptique gréco-romaine : la représentation de la statue-objet, soutenue en janvier 2021. Ce gigantesque travail, qui combine les données de la glyptique à celles de la numismatique, rassemble un corpus tout à fait considérable (1 265 images gravées de statue) et propose une approche indirecte, puisqu’il s’agit d’images dans l’image. Il a permis a de multiples réinterprétations et identifications iconographiques.
- Anthropologie de l'image. Une autre direction de recherche développée par les écoles de Paris et de Lausanne, dès les années 80, autour de François Lissarrague et Claude Bérard. Il s’agit d’une approche méthodique qui, au lieu de simplement proposer des identifications, propose une lecture anthropologique de l’image fondée sur la combinaison des unités iconiques qu’on peut repérer ; par exemple telle divinités et tels objets. Cette voie a été poursuivie au CRATA par les travaux de Pascale Jacquet-Rimassa sur la céramique attique, et ses étudiants en master sur la céramique d’Italie du Sud. Aujourd’hui, cet axe, très fertile, est celui de Fanny Langlade, qui est engagée dans une thèse sur l’imagerie dionysiaque dans la céramique d’Italie du Sud. Dans certains de nos travaux, nous bénéficions de nos relations avec l’université de Troyes qui nous permet de travailler avec le logiciel Porphyry. Ce logiciel permet, mieux que tout autre, de classer et d’analyser les images.
- La construction de l'image : aspective et perspective Depuis plus d’une décennie, nous développons, au sein du CRATA, une nouvelle approche autour des notions d’aspective et de perspective. L’aspective désigne la façon dont les images sont structurées avant l’émergence de la troisième dimension vers le milieu du Ve siècle av. J.-C. Pour prendre un exemple simple, les figures archaïques associent des visages de profil à des yeux de face, des torses de face à des jambes de profil. En Égypte, les seins sont de profil sur des torses de face. Il y a tout un ensemble de caractéristiques de ce genre que nous appelons les « traits aspectifs ». L’étude de tous ces traits est comme une grammaire de l’image archaïque, qui permet aussi, a contrario, de mieux saisir les spécificités de l’art classique, partiellement perspectif, mais encore aspectif par bien des aspects.
Comme les chercheurs du XXe s. et du début du XXIe s. se sont principalement intéressés aux questions de style et d’iconographie, cette question constitue un champ presque entièrement vierge. Tel n’est pas le cas en Égyptologie qui est la discipline qui la première a développé et théorisé la notion d’aspective. Son application à l’art grec archaïque ne pouvait donc se faire sans égyptologues. C’est pourquoi l’intégration au CRATA de Dominique Farout a joué un rôle très important, ainsi que la collaboration avec Christophe Barbotin. Dans ce cadre, il convient aussi de citer la première journée d’étude organisée, de concert avec Corinne Bonnet, Le monstre: figure inversée de l'esthétique et ses ambiguïtés dans le cadre de l’axe consacré au goût (2023). Christophe Barbotin et moi-même avons proposé une intervention commune intitulée Les monstres et l’aspective, de l’iconographie égyptienne à l’iconographie grecque.
Bien que notre programme ne soit pas soutenu par des financements de type ANR ou autre, un vaste travail de déchiffrement a été engagé. La thèse d’Eléna Oulié a apporté un premier repérage d’ampleur de ces traits aspectifs, dans un travail particulièrement réussi pour l’époque géométrique. Une série de mémoires de master également contribué à l’avancement de la recherche, notamment autour des « mouvements contrariés » (position d’un personnage qui a la tête dans le sens inverse des pieds), et de sa dilution dès lors que les visages sont représentés de trois-quarts (publication dans Pallas 105, 2017). Un premier article bilan est programmé pour la fin de l’année universitaire.
Ces réflexions portent principalement sur les images, mais faut-il les limiter au domaine des représentations figurées dans les arts visuels ? Nous considérons au contraire qu’elles dépassent le champ purement technique des figurations et relèvent d’une conception propre aux cultures archaïques étudiées.C'est pourquoi Jean-Marc Luce et Laura Sageaux avec Philippe Maupeu, Jean Nayrolles et Olivier Guerrier ont organisé le colloque Observateurs et Spectateurs dans l’art et la littérature de l’Antiquité au XVIIe s. (voir le programme ci-dessous). Les actes vont paraître, au printemps prochain.
- La rhétorique politique de l’image. Mais les images peuvent aussi avoir une signification politique, et ce sont d’autres méthodes qu’il faut alors mettre en place. C’est ce qu’a fait Estelle Galbois dans ses recherches diverses, depuis sa thèse parue en 2018, interrogeant l’intentionnalité de l’image plus que sa forme, au travers d’une réflexion sur la tryphè, positive ou négative selon la perception qu’on en avait, selon le message politique que les souverains hellénistiques cherchaient à diffuser. On retrouvera ici le thème développé dans le colloque Déchéances, autour de Démétrios de Phalère la fortune changeante de son iconographie. Toute une approche où l’étude de l’image se décrypte par confrontation au corpus littéraire et en utilisant les travaux historiques d’autres périodes. Cette approche rejoint celle de l’axe 2 de PLH et celle sur les marginalités du goût.

c) Théâtre antique et société

Les recherches sur le théâtre ont été menées dans le cadre de l’axe 1 de PLH. Nous y renvoyons donc. Ces recherches ont été menées avec un fort volet sur la réception des édifices et spectacles de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Signalons toutefois pour l’Antiquité, le colloque international consacré au théâtre en Égypte (du 12 octobre 2023 au 13 octobre 2023).

d) Les pratiques alimentaires et leurs significations socio-culturelles

Cet axe, peu développé durant les premières années de ce quinquennal, malgré un séminaire qui lui a été consacré en 2019-2020 (voir ci-dessous), l’a été davantage à la fin. Je travaille pour ma part à une monographie intitulée La pâtisserie dans l’Antiquité grecque, constituée d’un dictionnaire des gâteaux (200 entrées) et d’une synthèse. Je participe aussi au groupe constitué par Typhaine Haziza à Caen sur le fait alimentaire. J’ai présenté une communication au colloque organisé par cette dernière : Regards grecs antiques sur le fait alimentaire : bilan et perspectives socio-anthropologiques historiques (3-5 juillet 2023) et une autre lors de la JE organisée autour de Gunnel Ekroth, prof. invitée de l’université d’Uppsala (Suède),
Depuis 2023, une thèse consacrée au pain dans l’Antiquité a été engagée par Pierre-Antoine Vivier, en co-direction avec Laurent Bouby, ing. d’études à l’ISEM (Montpellier). Cette thèse propose une synthèse sur les données carpologiques concernant les céréales utilisées dans les différentes pâtes cuites, et une étude plus approfondie, à l’aide du miscroscope électronique et de la technique microtomographie, sur de vrais pains découverts lors de fouilles archéologiques, afin d’en étudier les composants et les techniques de fabrication. La façon dont la pâte lève est centrale dans cette étude. L’étude couvre un vaste champ chronologique, de l’Age du fer en Grèce à l’époque romaine en Gaule) et un vaste champ géographique, de la Grèce à la Gaule, et même les pains pharaoniques conservés au Louvre. Ce travail ouvrira sur une première approche géographique des pains dans l’Antiquité.

Abordées dans le précédent quinquennal, au cours des travaux communs sur Athénée, du colloque 2017 sur maigreur et minceur dans les sociétés anciennes, des séminaires d’histoire, d’histoire de l’art et d’archéologie (voir bilan scientifique), les pratiques alimentaires feront l'objet de recherches ciblées, afin de terminer l’étude de leur impact sur les sociétés et de leur rôle de révélateur des pratiques culturelles et sociales :
  • Un partenariat est en cours de finalisation sur l’Histoire du goût dans le monde phénico-punique AGEMO. Même s’il n’y a pas de spécialistes de la Phénicie au CRATA, les "cratistes", au cours de leurs travaux sur Athénée et sur l’alimentation, ont acquis une compétence pour expertiser les pratiques et leurs représentations et ont rencontré à différentes reprises les faits culturels phéniciens. Ce programme de recherche, développé entre l’Université de Tunis, la Casa de Velázquez et l’École française de Rome et auquel est aussi associée l’équipe PLH-ERASME, a pour objectif, après l’élaboration d’une problématique, d’aborder les différentes questions que pose l’histoire du goût. L’équipe, pluridisciplinaire, compte dans ses rangs des archéologues, des céramologues, des épigraphistes, des historiens, des philologues spécialistes du monde punique, mais aussi des experts de Rome, de la Grèce et du Proche-Orient ancien. Elle fédère à l’heure actuelle six institutions partenaires. Le programme comporte un volet de recherche et un volet de formation. V. Gitton-Ripoll, membre associée de l'équipe qui travaille sur le corpus de l’agronome punique Magon, sera le référent CRATA pour le projet.
  • Dans la ligne du travail sur le livre XIV d’Athénée publié en décembre 2018, (Athénée consacrant de longs développements à la boulangerie et aux gâteaux, et dans la ligne du colloque sur « L’histoire et l’archéologie du pain », en partenariat avec AniMed (octobre 2019), la publication d’un ouvrage sur l'histoire des pains et de la pâtisserie grecques est prévue (J.-M. Luce).
 

e) Santé, sexualité : normes, règles et modèles

Le fractionnement des disciplines universitaires entre le pôle des sciences humaines et celui des sciences dites « dures » a séparé la sexologie, généralement associée à la médecine, à la biologie et à la psychiatrie, des langues anciennes et de l’histoire des idées, rendant difficile tout travail à la croisée de ces deux domaines.Pour pallier ce manque dans le champ de la connaissance universitaire, il convient de faire dialoguermédecine et philosophie, deux disciplines autrefois complémentaires, mais séparées à l’époque moderne dans deux champs d’études bien distincts. Pourtant, c’est dans ce lien que réside les véritables prémices de la sexologie et des normes sexuelles occidentales. Les traités médicaux latins offrent en effet une étude de l’acte sexuel comme un phénomène à la fois physiologique et psychologique, ce qui leur permet déjà d’expliquer et de guérir des troubles tels que l’impuissance ou l’hypersexualité. Quels sont précisément les liens entretenus par la médecine sexuelle romaine et la philosophie hellénistique, en particulier le stoïcisme et l’épicurisme ? Quelles influences ces mouvements ont eu sur les théories médicales ? Peut-on parler de sexualité normalisée ou moralisée ? En quoi l’intervention de la philosophie a permis aux médecins romains de comprendre il y a plus de deux mille ans des mécanismes complexes tels que l’orgasme, les phantasmes ou les rêves érotiques ? Enfin, le passage de l’influence de la philosophie païenne à la pensée chrétienne a-t-elle eu une influence sur l’éthique sexuelle.

1. Organisation de manifestations scientifiques
- 5-8 juin 2024 : coorganisation du colloque international « Textes médicaux latins antiques et présalernitains » (UT2J, Hôtel d’Assézat), « Santé et maladie, diététique et thérapeutique », avec appel ouvert à communications.

2. Publications
- « Du motif comique au traitement thérapeutique. La médicalisation de l’impuissance sexuelle dans la littérature latine », in V. Naas, M.-P. Noël (dir.), Écritures des savoirs dans l’Antiquité aux premiers siècles de notre ère, 2023, p. 155‑175.
- « Du thym à la figue : métaphores botaniques au sujet des pathologies anales », in N. Palmieri (éd.), Images et analogies dans les textes médicaux latins. Antiquité et Moyen Âge, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint‑Étienne, 2023, p. 49-65.
- «Les origines de la médecine dans la Lettre 95 à Lucilius de Sénèque : une construction morale de l’histoire médicale », Pallas 116, 2021, p. 141-159 [diffusion en ligne sur OpenEdition Journals].
- « La théorie des humeurs chez Sénèque : un exemple d’éclectisme médical ? », Pallas 113, 2020, p. 41-57 [diffusion en ligne sur OpenEdition Journals].
- « Savoir médical grec et stoïcisme romain : le cas de l'œuvre de Sénèque », Archimède HS1, 2019, p. 26-41 [diffusion en ligne sur le site d’Archimède].

3. Appels à projets
Campagne 2022 de l’IUF : obtention de la chaire de médiation scientifique junior du 1er septembre 2022 au 31 août 2027, pour le projet « Aux origines romaines de la sexologie : science sexuelle et philosophie dans les traités médicaux latins ».