PPF Modernités européennes Axe 1

Le mal et les moralistes modernes (resp. : Pierre Glaudes et Dominique Rabaté)

Projet scientifique

Cet axe se propose considérer la modernité littéraire, du début du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, sous l'angle de la fascination pour le mal, en réaction contre l'idéal rationaliste des Lumières, mis à mal dès les lendemains de la Révolution française. Ce sont donc les pouvoirs de séduction et de fascination des figures maléfiques qui seront au centre des analyses, dans la mesure où elles ne restent pas un simple motif thématique ou dramatique, mais où elles engagent une véritable mutation esthétique et formelle, posant une question capitale à la représentation littéraire. Si la figure du diable au XIXe siècle (notamment dans la littérature fantastique), ou la question du mal radical avec la Shoah au XXe siècle ont déjà fait l'objet d'abondantes études, la fascination pour les puissances du mal reste pourtant un objet d'étude original et peu abordé de front. On tentera donc d'en articuler l'histoire et d'en décliner certaines figures emblématiques, à la fois dans la littérature française et européenne (américaine comprise), mais aussi dans le cinéma ou dans les autres arts.
Cette exploration de la question du mal conduira, dans un second temps, à s'interroger sur les possibilités d'existence d'écrivains moralistes, dans la littérature moderne. Que la littérature s'attache en effet à penser les valeurs, à juger les actions et les motivations des hommes, cela est attesté depuis l'Antiquité et peut apparaître inhérent à sa vocation à manifester ou à produire le sens. Il y a pourtant quelque paradoxe à parler aujourd'hui de « moralistes modernes » - tant la notion de modernité semble contredire toute prétention à énoncer les valeurs collectives. On se rappelle le mot fameux de Gide selon lequel « on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments » - constat d'auteur qui fait écho à l'affirmation réitérée au fil des XIXe et XXe siècles d'une autonomie de la sphère esthétique, la littérature entendant se déployer à l'écart des prétentions au bien et au vrai et laissant ces questions aux savants, aux philosophes et aux religieux.
Pour autant la littérature moderne n'a cessé d'être sollicitée par l'interrogation sur les valeurs individuelles ou collectives, d'être hantée par l'exigence morale alors même que toute attitude moralisante était dénoncée comme une convention facile, et que se dérobaient, en même temps que la foi en les certitudes théologiques ou les postulats humanistes d'une nature guide, le socle ancien de l'expérience (cf. G. Agambem) et la croyance en la validité de contenus transmissibles. L'institution des valeurs, dans ces conditions, court le risque de ne pouvoir se faire que dans le retrait de toute perspective fondatrice : elle est vouée aux aléas d'un relativisme historique et axiologique. Il s'agit d'une institution sans révélation (sauf pour ceux qui entendent se situer à contre-courant en assurant l'héritage théologique, ou pour ceux qu'anime une foi laïque), mais qui doit construire à mesure ses valeurs parmi les lambeaux des anciens discours philosophiques et religieux ou les suggestions des nouveaux savoirs (sciences humaines et psychanalyse en particulier), à travers une continuelle relation au contingent. L'activité moraliste devient alors exigence éthique - exigence dont les siècles modernes ont multiplié les formes, qu'il s'agisse d'inventer les valeurs d'un nouvel humanisme immergé dans le concret, pris dans l'urgence de l'Histoire (Gide, Sartre, Camus, Malraux), ou de trouver des solutions dans la solitude de l'expérience individuelle (ainsi les « hussards », Gide encore, Montherlant ou, tout différemment, Yourcenar, Cioran), ou encore de réinventer l'identité et la dignité de l'homme à travers et au-delà d'une expérience de l'inavouable - voire de la pure négativité - comme le firent par exemple ceux qui tentèrent de dire l'épreuve de la Shoah.

Programme d'activités

Un séminaire pluriannuel sur les « Puissances du mal dans la littérature des XIXe et XXe siècles », commencé en 2006 à l'occasion de la mise en place du LMD dans les deux universités partenaires, se poursuivra en 2007, au cours du premier semestre et sera prolongé par deux journées d'étude au début du second. Il sera ouvert aux étudiants de M2 et aux doctorants. Le principe adopté est celui de communications croisées sur le site bordelais et sur le site toulousain des chercheurs des deux équipes et des chercheurs invités dont il a paru opportun de solliciter la collaboration.
Ce séminaire sera prolongé par une colloque international sur « Les moralistes modernes » organisé à Belgrade en mai 2009, en partenariat avec les universités de Klagenfurt (Autriche) et de Belgrade (Serbie), avec le soutien de l'AUF.